1766, 20 Janvier - Avis imprimé sur la création de l'école vétérinaire de Limoges


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Document annexé à la lettre ultérieure (23 juillet 1767) de Turgot, alors Intendant du Limousin à Ducluzel, Intendant de Tours. Archives départementales d’Indre-et-Loire. Cote C358.

Transcription (orthographe moderne)

AVIS

ECOLE VETERINAIRE, ÉTABLIE A LIMOGES, OU L'ON DONNERA DES LEÇONS GRATUITES SUR LA CONNAISSANCE ET LE TRAITEMENT DES MALADIES DES ANIMAUX

Personne n'ignore que les animaux font sujets comme les hommes à une infinité d'accidents & de maladies , mais l'art de les en préserver & de les guérir, lorsqu'ils en sont attaqués, n'a encore fait que très peu de progrès parce qu'il a été jusqu'à préfent abandonné à une routine aveugle & à la pratique grossière de quelques artisans sans éducation. Cependant leur conservation est un objet de la plus grande importance pour les hommes. Sans le travail de ces animaux presque toutes les terres resteraient incultes. Sans les engrais qu'ils fournissent, les terrains les plus fertiles, bientôt épuisés, rendraient à peine au-delà des semences qu'on leur confie. Enfin ils font eux-mêmes une ressource non moins essentielle pour tous nos besoins que les fruits même de la terre. Nous leur devons une partie de nos vêtements, une foule de matières premières pour tous les Arts. Enfin ils nous servent de nourriture, ils sont le premier fondement de toutes les richesses du cultivateur & forment une des principales branches du revenu des terres.

La grêle & les autres fléaux auxquels sont sujets les fruits de la terre ne font ordinairement périr que la récolte d'une année, mais une maladie contagieuse fur les bestiaux de labour anéantit la reproduction de plusieurs années en détruisant l'instrument de la culture, plus encore en ruinant le cultivateur, qui perdant toutes ses avances, n'a plus de ressources pour réparer sa perte.

Il n'y a pas de province qui n’ait éprouvé les malheurs qu'entraine ce cruel fléau & l'impuissance des moyens que l'art offre pour s'en garantir: une maladie se fait voir dans un pays où on n'en connait ni la nature ni le remede : à la faveur de l'ignorance universelle , la contagion se répand sans qu'on puisse mettre aucun obstacle à sa rapidité , & les Animaux qu'elle attaque perissent sans qu'on sache leur donner aucun secours.

Mr. Bourgelat Ecuyer du Roy, Chef de l'Academie de Lyon, entreprit de tirer la médecine des animaux de cet état d'enfance & de former des sujets qui, éclairés par la théorie & par l'expérience, puissent donner aux animaux malades des secours efficaces. Dans cette vue, il se proposa d'établir dans la ville de Lyon une école publique ou l'on donnerait des leçons gratuites sur tout ce qui concerne la connaissance & le traitement des animaux dans l'état de santé & de maladie.

Mr. Bertin alors Contrôleur Général, sentant tout l'avantage d'une pareille école pour l'agriculture, accorda à cette entreprise toute la faveur & la protection que méritaient le zéle & les talens de celui qui l'avait formée. [2]

L’école s’ouvrit à Lyon au commencement de 1762. La plupart des Provinces du Royaume et même plusieurs états étrangers se sont empressés d'y envoyer des éleves. Le succès des instructions a parfaitement répondu à tout ce qu'on pouvait attendre des lumières du zèle

de l'auteur de cette entreprise. Plusieurs élèves ont fait les progrès les plus rapides & ils ont rendu de trèsgrands services dans differentes provinces où ils ont été appelés pour traiter des maladies épidémiques sur les bestiaux. Cette province en particulier a retiré beaucoup d'avantages des travaux des Srs. Bredin & Boufard qui y furent envoyés à l'occasion d’une maladie qui faisait beaucoup de ravages.

L'expérience de ces heureux succès, en demontrant l'utilité de ces écoles, a fait sentir au Gouvernement combien il était important de les multiplier & d'en répandre dans le Royaume un assez grand nombre, pour que les habitants des différentes provinces pussent y venir chercher des instructions, sans être rebutés par un trop grand éloignement.

La province du Limousin, dont l'éducation et l’engrais des bestiaux font la principale richesse qui a l'avantage de produire les chevaux les plus distingués du Royaume & qui est entourée de plusieurs provinces dans lesquelles le commerce des différents genres de bestiaux forme une partie considérable de l'industrie des habitants , a paru au Ministre une de celles où l'établissement d'une nouvelle école seroit le plus avantageux , & il s'est déterminé à le former.

Le Sr. Blois démonstrateur qui a longtemps travaillé à l'Ecole de Lyon a été choisi pour tenir celle de Limoges & doit incessamment commencer ses leçons.

Les instructions qui seront données dans cette école intéressent toutes les personnes qui sont dans le cas de suivre des entreprises considérables pour la nourriture, l’éducation ou l'engrais des différentes espèces de bestiaux, celles qui font valoir de fortes exploitations, entretiennent des haras: toutes ces personnes pourront y puiser des lumières utiles.

Mais les jeunes gens qui se destinent par état à traiter les animaux dans leurs maladies ont un intérêt encore plus pressant de se préparer par une théorie solide à l’exercice d'un art dont la considération sera proportionnée à son utilité , lorsqu'il ne sera plus abandonné à de simples manœuvres. L'habileté qu'ils auront acquife assurera leurs fuccès, & leurs fuccès leur mériteront la confiance du public. Tous les propriétaires qui possèdent des bestiaux sont trop intéressés à les conserver pour que les éleves instruits dans l'art vétérinaire puissent craindre de ne pas recueillir le fruit des peines qu'ils auront prises pour acquérir des connaissances. Il est bien à désirer pour les progrès de la culture dans cette province, pour la conservation des avances des cultivateurs & la sureté du revenu des propriétaires, qu’un grand nombre de personnes s'empressent de profiter du secours qui leur est offert pour s’instruire.

Il ne reste plus qu'à expliquer le plan de cette École & les conditions qu'on exigera de ceux qui désireront y être admis.

1° Toutes les instructions qu'on recevra dans l'école seront absolument gratuites.

2° Il n'y sera admis personne qui ne sache lire & écrire. L'âge le plus convenable est depuis quinze ans jusqu'à vingt-cinq ans. On ne recevra personne au-dessous de quinze ans.

3° Tous les élèves seront tenus de se conformer aux règles & à la discipline de l’école qui seront les mêmes que celles de l'école de Lyon.

4° Ceux qui troubleraient l'ordre établi , & dont la mauvaise conduite & le dérangement donneraient aux autres des exemples dangereux seront congédiés sans acception de personnes.

5° Pour faciliter à ceux qui se propoferont d'être admis les moyens de s’instruire sans être obligés à des dépenses au-dessus de leurs forces, on a pris des arrangemens pour que les élèves fussent nourris, logés & éclairés dans une maison particuliere au prix de 12 liv. par mois ou 144 liv. par an*. Le prix de chaque mois doit être payé d'avance.

6° Ceux qui voudront être traités différemment & qui seront en état de faire des frais plus considérables y seront nourris & logés suivant les clauses & conditions dont ils conviendront avec l'Entrepreneur.

7° Les personnes qui auront la facilité d’être nourries & logées chez leurs parents ou ailleurs auront à cet égard toute liberté.

8° Toutes les parties de la médecine des animaux seront mises chaque année sous les yeux des élèves; mais en faisant succéder les unes aux autres les différentes instructions, on aura soin de prendre des arrangements pour que ceux qui arriveraient à l'Ecole après l'année commencée puissent cependant toujours profiter des leçons.

9° Une seule année ne suffira pas pour intruire parfaitement les élèves : on croit qu’en deux ans ceux qui joindront l'application au talent pourront être en état de se perfectionner par eux-mêmes , mais il est à souhaiter que les élèves puissent passer trois ans dans l'école , ainsi qu’il se pratique à Lyon.

10° On distribuera chaque année au mois de décembre quatre prix, le premier sur l'anatomie , le second sur la physiologie, le 3éme sur les opérations, les pansements & les maladies externes, le 4ème sur les maladies internes & les médicaments; & chacun de ces prix sera une somme de cinquante livres, laquelle sera décernée & payée immediatement après le concours.

11° Outra ces prix auxquels pourront prétendre tous les élèves, même étrangers, M. l'Intendant promet de récompenser les deux élèves de la province qui se seront le plus distingués chaque année par leurs talents , leur application & leur conduite , en se chargeant de leur pension pendant les trois ans qu'ils passeront à l'Ecole.

Les Eleves recevront en sortant de l'Ecole un Brevet du Roi en vertu duquel ils pourront exercer leur art dans toute l'étendue du Royaume.

L’ouverture de l’école se fera vers le 20 Janvier 1766.

* Ce prix de 12 Livres sera le prix ordinaire de la pension des élèves, mais l’augmentation du prix des grains depuis la dernière récolte a obligé d’accorder à l’entreprenuer une augmentation de 2 Livres par mois. Cette augmentation n’aura lieu que jusqu’au temps où les grains reviendront à leur taux ordinaire.