RAPHAËL BLANCHARD (RB): SOURCES DES INFORMATIONS ET MÉTHODES D'ÉTUDE

mis en ligne le 5 mars 2020
Thème: Raphaël Blanchard, pionnier de la médecine coloniale

Mon étude sur Raphaël Blanchard (1857-1919) sera délibérément restreinte à ses réalisations dans le domaine de la médecine dite "coloniale", selon la formule employée à l'époque. Le champ est déjà très vaste même s'il ne représente qu'une partie de la vie et de l’œuvre de cet homme hors du commun qui s'est imposé, selon l'historien de la médecine  Jean Théodoridès comme le "grand-père de la parasitologie française moderne" (1). 

J'ai choisi de privilégier cet aspect du personnage car il  est très lié à l'histoire de la troisième république et de sa politique coloniale et qu'il permet de replacer l'homme dans le champ social, tant en France qu'à l'international. Enfin, - et ce n'est pas la moindre de mes motivations, - ce sujet pourrait intéresser des lecteurs non spécialistes de parasitologie et d'histoire naturelle. Il va sans dire que je laisserai aussi de côté (ou remettrai peut-être à plus tard) toutes les entreprises plus "périphériques", mais pourtant si riches, de R. Blanchard dans le domaine de l'histoire de la médecine, de l'anthropologie, voire celui des traditions populaires.

Des nombreuses notices biographiques sur R. Blanchard on pourra retenir celles de son élève Jules Guiart (1870-1965) dans le Bulletin de la Société zoologique de France  (2) et surtout celle de Fielding H. Garrison (1870-1935), célèbre historien américain de la médecine, dans le périodique Science (3). A part les deux précédentes, c'est en vain que les notices s'efforcent de retenir en quelques pages les mille facettes d'un personnage brillant, ubiquitaire et éclectique et d'une œuvre proprement disparate, même si la parasitologie y tient la place maîtresse. Récemment une approche biographique intéressante a été proposée par l'historien américain Michael Osborne qui s'attache à replacer R. Blanchard dans le milieu de l'université de Paris et dans celui de la France des colonies, contextes historiques riches d'enjeux, à la charnière des XIXe et XXe siècles (4 , 5). Il convient aussi de souligner l'importance de la publication récente de Annick Opinel sur l'émergence de l'entomologie française entre 1890 et 1938 (6).

C'est bien dans cet esprit que je voudrais avancer, mais en resserrant plus encore mon champ d'intérêt, en le limitant à Blanchard promoteur et pionnier de la médecine coloniale, et en utilisant uniquement comme sources historiques ses propres écrits. Il apparaît en effet, après un premier examen de son abondante production écrite que R. Blanchard a beaucoup parlé de sa propre vie professionnelle. Il ne s'est pas contenté, en bon scientifique, de débiter froidement son travail en articles de recherche:  il a décrit par le menu les étapes de son aventure, en a relaté les péripéties, et parlé des gens qu'il a rencontrés, tant en France qu'à l'étranger. Il n'a pas eu le temps de le faire dans une autobiographie, lui qui était pourtant taillé pour une telle entreprise, mais il a disséminé dans de nombreux articles à l'accent très personnel le métatexte qui permet de saisir tout le fil des évènements.

Dans quels types de supports un homme de science, un professeur de médecine, académicien de surcroît, peut-il  parler de sa vie professionnelle et de ses à-côtés ? Certes pas dans ce produit vide d'humanité qu'est un article scientifique stricto sensu ni dans ces traités universitaires, destinés à la vulgarisation ou à l'érudition, qui renferment toute la science sans jamais nous parler de ceux qui la font. Pour résoudre ce défi R. Blanchard a utilisé tous les supports possible. Il a en particulier fondé des périodiques dans lesquels, à côté des articles scientifiques proprement dits, il s'octroyait, à titre de directeur de publication, de larges plages pour parler de la science en train de se faire, de son contexte et de ses acteurs. Ces périodiques où R. Blanchard a pu déployer librement ses talents de conteur de la science de son temps s'appellent notamment: 
Cette liste n'est pas exclusive, comme nous le verrons. Et puis, s'agissant des sources d'information sur le déroulement des carrières, n'oublions pas que tous les professeurs et les chercheurs travaillant au sein des institutions ont un moyen "officiel" de rendre compte du travail accompli selon un mode personnel où le "je" et le "nous" ont droit de cité. Il s'agit du rapport d'activités, encore appelé des "titres et  travaux", documents indispensables au moment des concours de promotion.  Nous disposons de trois de ces rapports de titres et travaux de R. Blanchard, des modèles du genre, qui ont été publiés comme de véritables ouvrages (7 , 8 , 9). Ces rapports extrêmement détaillés constituent d'inappréciables sources primaires d'information pour l'historien, sans commune mesure avec les sources secondaires appauvries que sont les notices bio-bibliographiques, autant de pensums d'académiciens ou de secrétaires de sociétés savantes.

Mon enquête ciblée partira donc du rapport des titres et travaux de 1908 (8) qui rassemble tout ce qu'il faut savoir de la carrière de R. Blanchard dix ans environ avant sa mort et dans toutes les disciplines, médicales ou non, dans lesquelles il était passé maître :  physiologie, sciences naturelles, parasitologie, médecine tropicale, anthropologie, histoire des sciences, cultures populaires, mais aussi ses multiples entreprises et créations, ... bref : tout y est, y compris la liste impressionnante (et qui peut même prêter à rire) des titres et des médailles, françaises ou étrangères, qu'il a complaisamment récoltées durant sa carrière, telle celle de commandeur de l'ordre princier de Danilo Ier du Montenegro !

Ce rapport de 1908 fournit en particulier les clés d'entrée vers les écrits de l'auteur relatant la genèse et de développement, pleins de péripéties, des projets d'Institut de médecine coloniale et d'Enseignement colonial libre, les deux formes institutionnelles que ses entreprises ont adoptées dans ce domaine. Dans un premier temps je proposerai un inventaire des articles pertinents indiqués par R. Blanchard lui-même, puis j'analyserai ces articles un à un afin de reconstituer finalement un récit complet. Je tenterai ensuite de replacer ce récit dans le contexte historique global de la médecine dite coloniale à la charnière des deux siècles, tant en France qu'à l'étranger. Je m'inspirerai pour cela des travaux récents de M. Osborne (4, 5) et de A. Opinel (6) et j'essaierai d'apprécier la portée des initiatives de R. Blanchard tant au niveau national (Institut Pasteur, Écoles navales de Marseille et de Bordeaux) qu'au niveau international, en comparant la France à cet autre grand pays colonisateur que fut la Grande-Bretagne (Londres, Liverpool).

Prochain billet: inventaire des écrits de Blanchard traitant de médecine coloniale et notamment décrivant la genèse et le développement de l'Institut de médecine coloniale et de l'Enseignement colonial libre.