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Les textes originaux ont été délibérément transcrits en français moderne pour l'orthographe, l'accentuation, la ponctuation et l'utilisation des majuscules.
ART VÉTÉRINAIRE,
MÉDECINE DES ANIMAUX.
L’AGRICULTURE est aujourd'hui un des principaux objets de l'attention du Gouvernement. Malgré la difficulté des circonstances & des temps, ses regards font fixés sur cette partie intéressante; il y porte l'encouragement & les lumières: des exemptions deviennent le prix des travaux qui tendent au défrichement des terres abandonnées; des sociétés & des correspondances établies dans différentes Généralités s'occupent du soin d’éclairer les propriétaires des fonds, & détermineront enfin les cultivateurs à franchir les limites que l'habitude, le préjugé & l'ignorance leur ont malheureusement assignées.
Ce n'est pas néanmoins là que doivent se borner des vues vraiment supérieures. Quoique l'homme ait été condamné à la sueur & à la peine, il ne sauroit lui seul & par lui-même procurer à la terre l'abondance & la fertilité qui résultent de la bonne culture. Ses bras impuissants & trop faibles pour arracher du sein de cette mère commune les productions essentiellement nécessaires à notre subsistance ont besoin du secours & de la force des animaux qu'il a su maîtriser ; l'étude & les moyens de leur conservation entraient donc naturellement dans le projet d’augmenter les richesses réelles de l'Etat par la vivification d'une branche qui en est l'âme & au soutien de laquelle ils concourent évidemment.
Mais l'art vétérinaire est aujourd'hui dans l'abjection. Tout ce que des philosophes & des médecins que l'antiquité respectoit & qui n'ont pas dédaigné de s'en occuper nous ont transmis de connaissances sur cette matiere, est en quelque façon oublié. On ne lit plus Varron, Columelle, Dioscoride, Démocrite, Rafis, Avicenne etc. pas même dans les compilateurs tels que Gefner & Aldrovande ; & si Aristote & Pline sont encore quelquefois consultés, il semble que ce n'est que pour accréditer les erreurs de l'un les fables de l'autre.
[2]
Il eût été cependant facile, en renonçant même aux lumières des Anciens, de fonder les progrès de la médecine des animaux sur les progrès de la médecine des hommes. Celle-ci fut aidée de celle-là dans son principe, & par une force de retour, elle offre une abondante moisson de découvertes & de richesses à quiconque est capable de saisir les rapports & les différences du corps de l'homme & de l'animal, & de soumettre en même temps l'analogie aux loix d'un raisonnement rigoureux.
Telle aussi a été la source dans laquelle M. Bourgelat Ecuyer du Roi, Chef de l'Académie de Lyon, Correspondant de l'Académie Royale des Sciences de France, a cru devoir puiser, & c'est d'après les travaux les plus propres à le mettre en état de répandre un véritable jour sur un horizon dont la nuit ne fut, pour ainsi dire, jamais bannie, qu'il se propose d'établir & d'ouvrir dans le courant du mois de Janvier prochain dans la ville de Lyon une École qui aura pour objet la connaissance & le traitement des maladies des bœufs, des chevaux, des mulets, des moutons, c'est-à-dire des animaux le plus réellement dignes de nos soins. Quoi de plus précieux en effet pour nous que celui qui après avoir fait pendant la plus grande partie de sa vie la principale force de l'agriculture, bonifie toujours les fonds sur lesquels il ne s'engraisse que pour devenir notre aliment le plus solide, le plus ordinaire & le plus sain? Quoi de plus nécessaire & de plus avantageux que le produit constamment répété de ces femelles fécondes, le soutien & la ressource des ménages champêtres & dont une seule suffit souvent à la subsistance d'une famille entiere ? Quoi de plus cher, surtout, aux provinces dans lesquelles la grande culture est heureusement en vigueur, qu'un animal, qui d'ailleurs & à mille autres égards extrêmement essentiels, nous est d'une utilité absolument indispensable? Enfin quelle source prodigieuse de biens offerts par l'accroissement du produit des laines & de la vente des bestiaux qui fournissent les matières premieres à une partie de nos manufactures, tandis que d'une autre part ils amendent la terre qui nous nourrit & nous servent de nourriture eux-mêmes !
Mais plus notre entreprise importe au bien de l'Etat en général, & en particulier à cette classe d'hommes qui en doivent être regardés plutôt comme l'appui que comme les esclaves, plus nous devons chercher à rendre notre école instructive & profitable aux élèves qu'on y admettra. Nous formerons donc une chaîne de tous les principes dont la connaissance & l'application peuvent seules conduire à des démonstrations claires & certaines, & voici l'ordre dans lequel on procédera exactement.
L'animal sain & l'animal malade nous intéressent également. Notre but doit être d'une part de maintenir les parties de la machine dans leur intégrité, & de l'autre d'en réparer les désordres & les altérations; or pour conserver les parties dans l'état & dans le jeu qui constituent ce qu'on nomme santé, & pour remédier aux dérangements qu'elles peuvent avoir éprouvé & qui constituent ce qu'on nomme maladie, il est indispensable de connaître [3] ces parties leur action, ainsi que les causes & les conditions physiques de cette action, parce que cette action, ces causes & ces conditions une fois connues, on est près de la science des moyens d'entretenir constamment les fonctions & de rétablir celles que des vices qui ne sont pas au-dessus des forces de l'art peuvent avoir troublées.
En envisageant l'animal sain , nous le considérerons extérieurement & intérieurement.
Dans l'examen du corps humain, on ne s'attache à la dénomination & à la démonstration des parties externes qu'attendu la nécessité de faire valoir certaines divisions importantes & utiles pour la pratique. Notre méthode doit être différente & nous blesserions l'ordre que nous devons nous prescrire, si nous débutions par ces divisions que nous restreindrons d'ailleurs & qui seront moins compliquées. Nous exigeons dans les parties apparentes des animaux, des qualités qui nous annoncent qu'ils seront propres à l'usage auquel nous les destinons. Un bœuf, par exemple dont le col serait mince, la tête longue, le front, la poitrine, les reins, les flancs étroits, les hanches courtes, la croupe avalée, les cuisses & les jambes peu fournies seroit à rejetter. Il en seroit de même d'un cheval dont le corps pécherait évidemment dans les proportions qui en font la beauté & qui en assurent souvent la force, dont les jambes seraient arquées, dont l'ongle serait mauvais &c. Il est donc essentiel d'entrer d'abord dans des détails infinis sur tous les objets que l'extérieur de l'animal nous présente, de les suivre, de les comparer, d'en observer la bonne ou défectueuse conformation, d'indiquer les distinctions des poils, celle de l'âge, de donner des premiers préceptes sur la vue en un mot, de mettre les élèves à portée de n'être point trompés (du moins sur les fignes extérieurs) dans le choix & dans les achats qu'ils pourront un jour avoir à faire. A ces premieres idées succéderont celles qui concernent la génération de nos différents animaux, leur accouplement, leur gestation, le temps & la manière de sevrer les petits, le soin qu'on doit aux mères, ceux qu'ils demanden, la nourriture qui leur est la plus convenablet, leur éducation, la saison & l'âge des engrais, les degrés d'influences des climats &c. Nous joindrons autant qu'il fera en notre pouvoir à toutes les vues vétérinaires toutes les vues économiques qui peuvent être particulieres & relatives aux bestiaux.
Ensuite, & lorsque nous aurons assigné les divisions dont nous avons parlé, nous pénétrerons dans l'intérieur. C'est là que les élèves armés du scalpel rechercheront, par eux-mêmes & sous un guide éclairé, à s'instruire de la forme, de la position, de la connexion, du tissu, des bornes & de l'espece des picèes différentes qui ont été placées dans les corps pour des usages respectifs, & qu'ils commenceront à entrevoir l'importance de développer les énigmes de la nature, en tirant de la considération de tous ces points divers la connoissance des rapports, des fonctions & de la nécessité des parties.
[4]
Cette connaissance est d'un difficile accès. Elle a de plus ses dangers. Les conséquences tirées des faits les plus vrais font souvent très-fausses, & la raison s'égare où les sens, ces organes foibles & grossiers, saisissent parfaitement la vérité. Aussi tâcherons-nous de mettre nos élèves en garde contre la démangeaison de tout voir par les causes. Nous nous attacherons à leur inspirer une juste défiance ; nous les convaincrons des écarts dans lesquels on peut donner, en déduisant d'un petit nombre de faits des théorèmes d'une étendue sans bornes. Nous rejetterons même tout ce qui étant certain ne leur serait pas absolument nécessaire & pourrait n'être que curieux. J'avoue que les choses vraies sont d'une utilité plus prochaine ou plus éloignée, & que nul ne peut marquer le point précis au-delà duquel l'utilité cesse; mais la curiosité nous perd presqu'aussi souvent que l'orgueil, & l'une & l'autre nous menant trop loin, il importe d'apprendre à s'arrêter. L'art en sera plus court, mais les principes en seront inébranlables, & nous laisserons à la postérité, ou à ceux qui nous suivront de près, l'honneur ou la honte de l'étendre.
La machine ainsi décomposée & son organisation ainsi suivie, tous les mouvements de la nature , l'ordre qu'ils observent les loix selon lesquelles ils sont opérés, sont mis à découvert; & dès lors que ces causes formelles & efficientes de la vie & de la santé seront connues, l'absence ou le défaut de ce qui requis pour ces mouvemens, ou la présence d'un corps quelconque qui s'opposerait à leur liberté ou à leur exécution se manifestera plus aisément.
Telle elle la voie la plus sure & la plus abrégée par laquelle les élèves doivent parvenir à la science des maladies, c’est-à-dire à celle de leur origine, de leur génération, de leurs progrès, de leur caractère, de leurs signes & de leurs effets. Ici néanmoins les erreurs ne sont pas moins communes & moins à craindre. Chaque maladie peut avoir sa marche particulière, garder un certain type, observer un temps, un ordre, des périodes réglés dans son commencement & dans son augmentation, & se terminer enfin d'une certaine maniere; mais chacune d'elles n'a-t-elle pas une façon qui lui est propre de troubler les actions naturelles & d'altérer les mouvements ? D'une autre part combien d'effets divers qui dérivent d'une seule & même cause morbifique ? quelle variété dans des accidents sensibles qui n'ont qu'une même source ? quelle prodigieuse difficulté de décider sainement sur des symptômes presque toujours équivoques & obscurs dans des animaux privés de la faculté de s'exprimer & de se plaindre ? Avouons-le : il est rare qu'au milieu de pareilles ténebres l'esprit ne marche au hazard; il ne supplée que trop souvent par des conjectures à la réalité qui devrait le guider, & ce qui dans de semblables circonstances distingue le plus l'homme éclairé de l'homme ignorant , c'est la sage timidité du premier & la précipitation constamment hardie de l'autre.
Quoi qu'il en soit , nous passerons de cette suite de préceptes donnés , aux moyens de prévenir les maux & de les combattre. Le principal de ces moyens dans l'un & l'autre cas est le régime à prescrire mais comme souvent il ne [5] suffit pas pour rétablir l'ordre troublé, nous n'omettrons aucun des autres secours que l'art suggère. Ces secours consistent dans les opérations nécessaires à pratiquer & dans les remèdes auxquels il est indispensable de recourir. Par rapport aux premiers , nous ajouterons aux opérations admises dans le traitement des animaux & que nous rectifierons en les asservissant à des règles & à des principes, de nouvelles vues & une partie des opérations qui ont lieu sur le corps humain, & peut-être restituerons-nous un jour à la chirurgie ce qu'elle nous prête aujourd'hui de lumières. Quant aux médicaments nous nous préserverons des écueils qui menacent ceux qui entreprennent, même par l'analyse, d’en apprécier les vertus & d'expliquer les raisons mécaniques de leurs effets. Les forces des corps font conditionnelles & limitées; elles ne sont point absolues : or il suit de ce principe philosophique & vrai que nul remede n'a une action certaine & déterminée, ni un effet invariablement bon ou mauvais. Ils sont salutaires ou nuisibles selon l'usage, selon l'application qu'on en fait, selon l'action qu'ils exercent & la réaction qu'ils éprouvent de la part de la partie sur laquelle cette action a été exercée, & c'est précisément dans les différences sensibles du résultat qui suit le bon & le mauvais emploi, que l'on trouve contre les ignorants la preuve du danger des formules ou des recettes mises dans leurs mains, & contre les incrédules en Médecine celle de l'existence de l'art.
Nous éviterons encore de tomber dans l'inconvénient qu'entraîne un appareil immense & ruineux de compositions pharmaceutiques, dont se glorifiait mal-à- propos autrefois la médecine humaine , & que Soleysel inspiré d'un apothicaire introduisit sans méthode & puérilement dans l'hippiatrique. Nous bannirons tous secrets, tous arcanes chimiques, tous spécifiques prétendus auxquels le peuple de tous les états & de toutes les conditions accorde aveuglément sa confiance. On est pauvre avec des richesses embarrassantes, on est riche avec peu de bien quand on en dispose sagement. Un petit nombre de remèdes choisis & éprouvés fur différents animaux & dans les différentes maladies nous suffira & nous nous en tiendrons uniquement à les prescrire, préférant d'autant plus volontiers les médicaments simples & les préparations aisées qu'ils sont plutôt propres à aider qu'à étonner la nature.
Jusques ici nos élèves auront été frappés de toutes les vérités qui constituent la théorie vétérinaire; mais il était essentiel, quelque certaines & quelqu'évidentes qu'elles soient, de les confirmer encore en les rapportant à la pratique. Notre École sera donc pourvue d'un nombre nécessaire d'animaux malades pour servir à l'instruction des élèves dans le traitement que l'on en fera moyennant une juste rétribution tant pour la nourriture que pour les remèdes administrés. Nous descendrons du général dans le particulier; les individus deviendront notre objet. Nous considérerons les corps, leur nature, leur force, leur faiblesse, l'âge, l'état naturel ou non naturel des fonctions, & d'après les combinaisons d'une infinité de circonstances, & dans chaque cas nos èlèves apprendront de l'expérience même la véritable application des [6] principes qu'ils auront reçus & ce qu'ils peuvent avoir de solidité & de valeurs.
Nous ferons plus. Nous oserons attaquer des maux que peut-être notre ignorance seule a mis au rang de ces maladies formidables & rebelles dont l'art ne peut triompher. Nous soumettrons, par exemple, la morve à nos tentatives & à nos efforts, & loin de vouloir consacrer & perdre un temps précieux dans des disputes misérables & frivoles qui n'en arrêtent pas les ravages, nous nous éleverons par la voie de l'empirisme, s'il le faut, aux moyens de la combattre & de la vaincre; car où le raisonnement peut être infidlèe & n'éclaire point, on ne saurait le prendre pour guide, & c'est principalement en pareil cas que le médecin qui se tait & qui guérit est au-dessus de celui qui ne guérit pas & qui parle.
Nous nous attacherons surtout à l'étude & à la cure de ces maladies épidémiques & funestes qui dévastent les campagnes & désolent les cultivateurs. Aidé des lumieres de Balloni, de Sylvius, de Sydenham, de Lancifi, de Ramazzini & de nos propres recherches, nous en éclaircirons, nous en cultiverons la doctrine, & l'animal atteint de pareils maux ne sera plus immolé des mains même du laboureur ou du berger éperdu qui le pleure.
Enfin nous ne craindrons point de consigner chaque année dans un journal particulier nos fautes & nos succès les unes & les autres devant être des leçons également instructives, nous les publierons sans honte, comme qans orgueil. Nous y joindrons ce que nos travaux anatomiques & ce que des expériences multipliées & de tous les genres pourront nous fournir de découvertes, & nous nous estimerions trop heureux si les personnes à qui la vie des hommes est confiée, persuadées des progrès que leur art peut attendre encore de la médecine comparée, daignaient nous mettre à portée d'éprouver & de pratiquer sur les animaux ce que la prudence ne leur permet pas de tenter sur la nature humaine, nous les invitons à nous faire faire de fréquens sacrifices; ils nous coûteront peu s'ils sont utiles, & nous nous glorifierons d'avoir ajouté ces vues à celles que nous avons à remplir.
Si quelque chose au surplus doit faire exécuter en nous un zèle qui nous met au-dessus de nous-mêmes, & que l'espoir des secours dont nous pourrions avoir besoin soutient, c'est la considération des avantages qui peuvent résulter de nos travaux. Nous souhaiterions que la mesure de ces mêmes avantages fût celle de l'utilité des animaux qui seront notre objet; notre récompense serait dans le bien que nous aurions opéré & c'est la seule à laquelle un vrai citoyen doit prétendre.
On avertit ceux qui souhaiteront d'envoyer des élèves dans l'école ou d'y entrer en cette qualité, de s'adresser à M. Jourdan à l'Académie du Roi à Lyon & d'affranchir leurs lettres. On les instruira de toutes les conditions auxquelles on pourra les recevoir. Il est inutile de présenter des personnes qui ne sauraient ni lire ni écrire.
A LYON. De l'Imprimerie de JEAN-MARIE BRUYSET, Imprimeur-Libraire.
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Les textes originaux ont été délibérément transcrits en français moderne pour l'orthographe, l'accentuation, la ponctuation et l'utilisation des majuscules.
ART VÉTÉRINAIRE,
MÉDECINE DES ANIMAUX.
L’AGRICULTURE est aujourd'hui un des principaux objets de l'attention du Gouvernement. Malgré la difficulté des circonstances & des temps, ses regards font fixés sur cette partie intéressante; il y porte l'encouragement & les lumières: des exemptions deviennent le prix des travaux qui tendent au défrichement des terres abandonnées; des sociétés & des correspondances établies dans différentes Généralités s'occupent du soin d’éclairer les propriétaires des fonds, & détermineront enfin les cultivateurs à franchir les limites que l'habitude, le préjugé & l'ignorance leur ont malheureusement assignées.
Ce n'est pas néanmoins là que doivent se borner des vues vraiment supérieures. Quoique l'homme ait été condamné à la sueur & à la peine, il ne sauroit lui seul & par lui-même procurer à la terre l'abondance & la fertilité qui résultent de la bonne culture. Ses bras impuissants & trop faibles pour arracher du sein de cette mère commune les productions essentiellement nécessaires à notre subsistance ont besoin du secours & de la force des animaux qu'il a su maîtriser ; l'étude & les moyens de leur conservation entraient donc naturellement dans le projet d’augmenter les richesses réelles de l'Etat par la vivification d'une branche qui en est l'âme & au soutien de laquelle ils concourent évidemment.
Mais l'art vétérinaire est aujourd'hui dans l'abjection. Tout ce que des philosophes & des médecins que l'antiquité respectoit & qui n'ont pas dédaigné de s'en occuper nous ont transmis de connaissances sur cette matiere, est en quelque façon oublié. On ne lit plus Varron, Columelle, Dioscoride, Démocrite, Rafis, Avicenne etc. pas même dans les compilateurs tels que Gefner & Aldrovande ; & si Aristote & Pline sont encore quelquefois consultés, il semble que ce n'est que pour accréditer les erreurs de l'un les fables de l'autre.
[2]
Il eût été cependant facile, en renonçant même aux lumières des Anciens, de fonder les progrès de la médecine des animaux sur les progrès de la médecine des hommes. Celle-ci fut aidée de celle-là dans son principe, & par une force de retour, elle offre une abondante moisson de découvertes & de richesses à quiconque est capable de saisir les rapports & les différences du corps de l'homme & de l'animal, & de soumettre en même temps l'analogie aux loix d'un raisonnement rigoureux.
Telle aussi a été la source dans laquelle M. Bourgelat Ecuyer du Roi, Chef de l'Académie de Lyon, Correspondant de l'Académie Royale des Sciences de France, a cru devoir puiser, & c'est d'après les travaux les plus propres à le mettre en état de répandre un véritable jour sur un horizon dont la nuit ne fut, pour ainsi dire, jamais bannie, qu'il se propose d'établir & d'ouvrir dans le courant du mois de Janvier prochain dans la ville de Lyon une École qui aura pour objet la connaissance & le traitement des maladies des bœufs, des chevaux, des mulets, des moutons, c'est-à-dire des animaux le plus réellement dignes de nos soins. Quoi de plus précieux en effet pour nous que celui qui après avoir fait pendant la plus grande partie de sa vie la principale force de l'agriculture, bonifie toujours les fonds sur lesquels il ne s'engraisse que pour devenir notre aliment le plus solide, le plus ordinaire & le plus sain? Quoi de plus nécessaire & de plus avantageux que le produit constamment répété de ces femelles fécondes, le soutien & la ressource des ménages champêtres & dont une seule suffit souvent à la subsistance d'une famille entiere ? Quoi de plus cher, surtout, aux provinces dans lesquelles la grande culture est heureusement en vigueur, qu'un animal, qui d'ailleurs & à mille autres égards extrêmement essentiels, nous est d'une utilité absolument indispensable? Enfin quelle source prodigieuse de biens offerts par l'accroissement du produit des laines & de la vente des bestiaux qui fournissent les matières premieres à une partie de nos manufactures, tandis que d'une autre part ils amendent la terre qui nous nourrit & nous servent de nourriture eux-mêmes !
Mais plus notre entreprise importe au bien de l'Etat en général, & en particulier à cette classe d'hommes qui en doivent être regardés plutôt comme l'appui que comme les esclaves, plus nous devons chercher à rendre notre école instructive & profitable aux élèves qu'on y admettra. Nous formerons donc une chaîne de tous les principes dont la connaissance & l'application peuvent seules conduire à des démonstrations claires & certaines, & voici l'ordre dans lequel on procédera exactement.
L'animal sain & l'animal malade nous intéressent également. Notre but doit être d'une part de maintenir les parties de la machine dans leur intégrité, & de l'autre d'en réparer les désordres & les altérations; or pour conserver les parties dans l'état & dans le jeu qui constituent ce qu'on nomme santé, & pour remédier aux dérangements qu'elles peuvent avoir éprouvé & qui constituent ce qu'on nomme maladie, il est indispensable de connaître [3] ces parties leur action, ainsi que les causes & les conditions physiques de cette action, parce que cette action, ces causes & ces conditions une fois connues, on est près de la science des moyens d'entretenir constamment les fonctions & de rétablir celles que des vices qui ne sont pas au-dessus des forces de l'art peuvent avoir troublées.
En envisageant l'animal sain , nous le considérerons extérieurement & intérieurement.
Dans l'examen du corps humain, on ne s'attache à la dénomination & à la démonstration des parties externes qu'attendu la nécessité de faire valoir certaines divisions importantes & utiles pour la pratique. Notre méthode doit être différente & nous blesserions l'ordre que nous devons nous prescrire, si nous débutions par ces divisions que nous restreindrons d'ailleurs & qui seront moins compliquées. Nous exigeons dans les parties apparentes des animaux, des qualités qui nous annoncent qu'ils seront propres à l'usage auquel nous les destinons. Un bœuf, par exemple dont le col serait mince, la tête longue, le front, la poitrine, les reins, les flancs étroits, les hanches courtes, la croupe avalée, les cuisses & les jambes peu fournies seroit à rejetter. Il en seroit de même d'un cheval dont le corps pécherait évidemment dans les proportions qui en font la beauté & qui en assurent souvent la force, dont les jambes seraient arquées, dont l'ongle serait mauvais &c. Il est donc essentiel d'entrer d'abord dans des détails infinis sur tous les objets que l'extérieur de l'animal nous présente, de les suivre, de les comparer, d'en observer la bonne ou défectueuse conformation, d'indiquer les distinctions des poils, celle de l'âge, de donner des premiers préceptes sur la vue en un mot, de mettre les élèves à portée de n'être point trompés (du moins sur les fignes extérieurs) dans le choix & dans les achats qu'ils pourront un jour avoir à faire. A ces premieres idées succéderont celles qui concernent la génération de nos différents animaux, leur accouplement, leur gestation, le temps & la manière de sevrer les petits, le soin qu'on doit aux mères, ceux qu'ils demanden, la nourriture qui leur est la plus convenablet, leur éducation, la saison & l'âge des engrais, les degrés d'influences des climats &c. Nous joindrons autant qu'il fera en notre pouvoir à toutes les vues vétérinaires toutes les vues économiques qui peuvent être particulieres & relatives aux bestiaux.
Ensuite, & lorsque nous aurons assigné les divisions dont nous avons parlé, nous pénétrerons dans l'intérieur. C'est là que les élèves armés du scalpel rechercheront, par eux-mêmes & sous un guide éclairé, à s'instruire de la forme, de la position, de la connexion, du tissu, des bornes & de l'espece des picèes différentes qui ont été placées dans les corps pour des usages respectifs, & qu'ils commenceront à entrevoir l'importance de développer les énigmes de la nature, en tirant de la considération de tous ces points divers la connoissance des rapports, des fonctions & de la nécessité des parties.
[4]
Cette connaissance est d'un difficile accès. Elle a de plus ses dangers. Les conséquences tirées des faits les plus vrais font souvent très-fausses, & la raison s'égare où les sens, ces organes foibles & grossiers, saisissent parfaitement la vérité. Aussi tâcherons-nous de mettre nos élèves en garde contre la démangeaison de tout voir par les causes. Nous nous attacherons à leur inspirer une juste défiance ; nous les convaincrons des écarts dans lesquels on peut donner, en déduisant d'un petit nombre de faits des théorèmes d'une étendue sans bornes. Nous rejetterons même tout ce qui étant certain ne leur serait pas absolument nécessaire & pourrait n'être que curieux. J'avoue que les choses vraies sont d'une utilité plus prochaine ou plus éloignée, & que nul ne peut marquer le point précis au-delà duquel l'utilité cesse; mais la curiosité nous perd presqu'aussi souvent que l'orgueil, & l'une & l'autre nous menant trop loin, il importe d'apprendre à s'arrêter. L'art en sera plus court, mais les principes en seront inébranlables, & nous laisserons à la postérité, ou à ceux qui nous suivront de près, l'honneur ou la honte de l'étendre.
La machine ainsi décomposée & son organisation ainsi suivie, tous les mouvements de la nature , l'ordre qu'ils observent les loix selon lesquelles ils sont opérés, sont mis à découvert; & dès lors que ces causes formelles & efficientes de la vie & de la santé seront connues, l'absence ou le défaut de ce qui requis pour ces mouvemens, ou la présence d'un corps quelconque qui s'opposerait à leur liberté ou à leur exécution se manifestera plus aisément.
Telle elle la voie la plus sure & la plus abrégée par laquelle les élèves doivent parvenir à la science des maladies, c’est-à-dire à celle de leur origine, de leur génération, de leurs progrès, de leur caractère, de leurs signes & de leurs effets. Ici néanmoins les erreurs ne sont pas moins communes & moins à craindre. Chaque maladie peut avoir sa marche particulière, garder un certain type, observer un temps, un ordre, des périodes réglés dans son commencement & dans son augmentation, & se terminer enfin d'une certaine maniere; mais chacune d'elles n'a-t-elle pas une façon qui lui est propre de troubler les actions naturelles & d'altérer les mouvements ? D'une autre part combien d'effets divers qui dérivent d'une seule & même cause morbifique ? quelle variété dans des accidents sensibles qui n'ont qu'une même source ? quelle prodigieuse difficulté de décider sainement sur des symptômes presque toujours équivoques & obscurs dans des animaux privés de la faculté de s'exprimer & de se plaindre ? Avouons-le : il est rare qu'au milieu de pareilles ténebres l'esprit ne marche au hazard; il ne supplée que trop souvent par des conjectures à la réalité qui devrait le guider, & ce qui dans de semblables circonstances distingue le plus l'homme éclairé de l'homme ignorant , c'est la sage timidité du premier & la précipitation constamment hardie de l'autre.
Quoi qu'il en soit , nous passerons de cette suite de préceptes donnés , aux moyens de prévenir les maux & de les combattre. Le principal de ces moyens dans l'un & l'autre cas est le régime à prescrire mais comme souvent il ne [5] suffit pas pour rétablir l'ordre troublé, nous n'omettrons aucun des autres secours que l'art suggère. Ces secours consistent dans les opérations nécessaires à pratiquer & dans les remèdes auxquels il est indispensable de recourir. Par rapport aux premiers , nous ajouterons aux opérations admises dans le traitement des animaux & que nous rectifierons en les asservissant à des règles & à des principes, de nouvelles vues & une partie des opérations qui ont lieu sur le corps humain, & peut-être restituerons-nous un jour à la chirurgie ce qu'elle nous prête aujourd'hui de lumières. Quant aux médicaments nous nous préserverons des écueils qui menacent ceux qui entreprennent, même par l'analyse, d’en apprécier les vertus & d'expliquer les raisons mécaniques de leurs effets. Les forces des corps font conditionnelles & limitées; elles ne sont point absolues : or il suit de ce principe philosophique & vrai que nul remede n'a une action certaine & déterminée, ni un effet invariablement bon ou mauvais. Ils sont salutaires ou nuisibles selon l'usage, selon l'application qu'on en fait, selon l'action qu'ils exercent & la réaction qu'ils éprouvent de la part de la partie sur laquelle cette action a été exercée, & c'est précisément dans les différences sensibles du résultat qui suit le bon & le mauvais emploi, que l'on trouve contre les ignorants la preuve du danger des formules ou des recettes mises dans leurs mains, & contre les incrédules en Médecine celle de l'existence de l'art.
Nous éviterons encore de tomber dans l'inconvénient qu'entraîne un appareil immense & ruineux de compositions pharmaceutiques, dont se glorifiait mal-à- propos autrefois la médecine humaine , & que Soleysel inspiré d'un apothicaire introduisit sans méthode & puérilement dans l'hippiatrique. Nous bannirons tous secrets, tous arcanes chimiques, tous spécifiques prétendus auxquels le peuple de tous les états & de toutes les conditions accorde aveuglément sa confiance. On est pauvre avec des richesses embarrassantes, on est riche avec peu de bien quand on en dispose sagement. Un petit nombre de remèdes choisis & éprouvés fur différents animaux & dans les différentes maladies nous suffira & nous nous en tiendrons uniquement à les prescrire, préférant d'autant plus volontiers les médicaments simples & les préparations aisées qu'ils sont plutôt propres à aider qu'à étonner la nature.
Jusques ici nos élèves auront été frappés de toutes les vérités qui constituent la théorie vétérinaire; mais il était essentiel, quelque certaines & quelqu'évidentes qu'elles soient, de les confirmer encore en les rapportant à la pratique. Notre École sera donc pourvue d'un nombre nécessaire d'animaux malades pour servir à l'instruction des élèves dans le traitement que l'on en fera moyennant une juste rétribution tant pour la nourriture que pour les remèdes administrés. Nous descendrons du général dans le particulier; les individus deviendront notre objet. Nous considérerons les corps, leur nature, leur force, leur faiblesse, l'âge, l'état naturel ou non naturel des fonctions, & d'après les combinaisons d'une infinité de circonstances, & dans chaque cas nos èlèves apprendront de l'expérience même la véritable application des [6] principes qu'ils auront reçus & ce qu'ils peuvent avoir de solidité & de valeurs.
Nous ferons plus. Nous oserons attaquer des maux que peut-être notre ignorance seule a mis au rang de ces maladies formidables & rebelles dont l'art ne peut triompher. Nous soumettrons, par exemple, la morve à nos tentatives & à nos efforts, & loin de vouloir consacrer & perdre un temps précieux dans des disputes misérables & frivoles qui n'en arrêtent pas les ravages, nous nous éleverons par la voie de l'empirisme, s'il le faut, aux moyens de la combattre & de la vaincre; car où le raisonnement peut être infidlèe & n'éclaire point, on ne saurait le prendre pour guide, & c'est principalement en pareil cas que le médecin qui se tait & qui guérit est au-dessus de celui qui ne guérit pas & qui parle.
Nous nous attacherons surtout à l'étude & à la cure de ces maladies épidémiques & funestes qui dévastent les campagnes & désolent les cultivateurs. Aidé des lumieres de Balloni, de Sylvius, de Sydenham, de Lancifi, de Ramazzini & de nos propres recherches, nous en éclaircirons, nous en cultiverons la doctrine, & l'animal atteint de pareils maux ne sera plus immolé des mains même du laboureur ou du berger éperdu qui le pleure.
Enfin nous ne craindrons point de consigner chaque année dans un journal particulier nos fautes & nos succès les unes & les autres devant être des leçons également instructives, nous les publierons sans honte, comme qans orgueil. Nous y joindrons ce que nos travaux anatomiques & ce que des expériences multipliées & de tous les genres pourront nous fournir de découvertes, & nous nous estimerions trop heureux si les personnes à qui la vie des hommes est confiée, persuadées des progrès que leur art peut attendre encore de la médecine comparée, daignaient nous mettre à portée d'éprouver & de pratiquer sur les animaux ce que la prudence ne leur permet pas de tenter sur la nature humaine, nous les invitons à nous faire faire de fréquens sacrifices; ils nous coûteront peu s'ils sont utiles, & nous nous glorifierons d'avoir ajouté ces vues à celles que nous avons à remplir.
Si quelque chose au surplus doit faire exécuter en nous un zèle qui nous met au-dessus de nous-mêmes, & que l'espoir des secours dont nous pourrions avoir besoin soutient, c'est la considération des avantages qui peuvent résulter de nos travaux. Nous souhaiterions que la mesure de ces mêmes avantages fût celle de l'utilité des animaux qui seront notre objet; notre récompense serait dans le bien que nous aurions opéré & c'est la seule à laquelle un vrai citoyen doit prétendre.
On avertit ceux qui souhaiteront d'envoyer des élèves dans l'école ou d'y entrer en cette qualité, de s'adresser à M. Jourdan à l'Académie du Roi à Lyon & d'affranchir leurs lettres. On les instruira de toutes les conditions auxquelles on pourra les recevoir. Il est inutile de présenter des personnes qui ne sauraient ni lire ni écrire.
A LYON. De l'Imprimerie de JEAN-MARIE BRUYSET, Imprimeur-Libraire.