Saint-Christophe-sur-le-Nais, petit village de l'Indre-et-Loire, peut se flatter d’avoir vu naître au 19e siècle deux médecins à peu près contemporains qui devinrent tous deux membres de l’Académie nationale de médecine : Fulgence Raymond (1844-1910) et Raphaël Blanchard (1857-1919)1. Le premier s’illustra dans le domaine de la neurologie, le second dans celui de la parasitologie : c’est lui qui constitue le sujet de notre étude.
Portraits de R. Blanchard à différents âges (source : NIH, NLM)
Du jeune homme à peine sorti des études en haut à gauche, au professeur chevronné académicien en bas à droite, c’est plutôt le dernier qui retiendra notre attention. Son centre d’action principal était le Boulevard St Germain à Paris, entre le n°226, où il résidait, et le 85, siège de la Faculté de médecine. Blanchard resta néanmoins fidèle à la Touraine dont il étudia les traditions populaires.
Sur Blanchard, de multiples notices biographiques ont été publiées. Il s’agit le plus souvent de nécrologies écrites par ses pairs, sans visée proprement historique2. Elles mettent en évidence l’éclectisme du médecin académicien, naturaliste et parasitologiste, féru en outre d'anthropologie biologique, d'histoire de la médecine et de traditions populaires, grand collectionneur, étendant enfin ses compétences jusqu'à l'hygiène publique et, dans toutes ces matières, toujours soucieux de reconnaissance et d’honneurs, y compris à l’étranger. Il ne s’agira pas ici de produire une énième version des étapes de sa carrière et de ses principales réalisations.
Nous avons choisi de nous intéresser à l’une des phases essentielles de sa vie professionnelle : celle qui, à partir de 1902, l'amena à fonder puis à diriger l’Institut de Médecine Coloniale de Paris (IMC), ceci jusqu’à la grande guerre à l’issue de laquelle il mourut des suites de la grippe espagnole. Cette dernière période de sa carrière de près de 20 ans en constitue l’apogée. Elle peut être considérée comme l’aboutissement d’une progression en termes de compétences, de reconnaissance par ses pairs, d’autorité internationale dans les diverses disciplines qu’il mena de front. C’est donc délibérément que nous passerons rapidement sur les premières phases de sa carrière pour mieux nous concentrer sur le projet d’enseignement de la médecine coloniale.
Ce projet d’enseignement, outre qu’il témoigne des difficultés auxquelles il a dû faire face dans le monde rigide de la faculté de médecine de Paris d’alors, a placé Raphaël Blanchard dans un contexte historique dépassant largement le cadre universitaire et académique. Cette entreprise de l’IMC est en effet étroitement liée au développement de l’empire colonial français, dans le moment même où les recherches sur les agents pathogènes font un formidable bond en avant, en France comme à l’étranger. Ce contexte renforce l’intérêt de la dernière partie de sa carrière du point de vue de l’histoire de la médecine. Les réalisations de Blanchard, illustrées par ses multiples publications, la manière dont il en rend compte abondamment dans les journaux dont il fut l’éditeur, montrent que Blanchard en fut un acteur significatif 3.
On doit toutefois se demander si cette place que Blanchard a voulue et prétendue centrale dans le dispositif de la médecine coloniale fait de lui autre chose qu’un révélateur de son temps, s’il a véritablement contribué avec ses collaborateurs à faire avancer la science dans ce domaine et si l’institution d’enseignement de la médecine coloniale qu’il a créée a tenu son rang de manière durable dans le contexte très concurrentiel de l’époque. Enfin nous replacerons cette entreprise particulière de Blanchard dans l’ensemble des activités qu’il a menées pendant la même période afin de mieux apprécier la place qu’il pouvait raisonnablement lui assigner 4.
Buste de R. Blanchard devant la mairie de Saint-Christophe.
Ce buste en bronze du sculpteur Raymond Bigot (1872-1953) fut fondu sous le régime de Vichy dans le cadre de la mobilisation des métaux non ferreux. C’est en 1924 que la veuve de R. Blanchard, avec l’accord du Conseil municipal, décida de faire ériger à ses frais un monument en hommage à son mari mort quatre ans plus tôt. La commune accepta alors d’élever un deuxième monument devant la mairie, à la suite de celui dressé en l’honneur de Fulgence Raymond, et ce en faisant appel au même sculpteur. A Brèches, commune voisine de Saint-Christophe, le buste de Velpeau, autre célèbre médecin, a été remplacé par une copie. Les deux illustres médecins de Saint-Christophe n’ont pas eu cette faveur.
1 Raphaël Blanchard est né à St Christophe-sur-le-Nais (Indre-et-Loire) le 28 novembre 1857. Il était le fils unique de René Blanchard, auteur dramatique, employé au ministère des Finances, demeurant à Paris, né en 1832 à Huismes (Indre-et-Loire) et d’Olympe Mançais née en 1832 à St Christophe où elle résidait. Le mariage avait eu lieu à St Christophe le 1er avril 1856. René Blanchard, le père, est décédé à Cauterets (Hautes-Pyrénées) le 7 juillet 1858, soit moins d'un an après la naissance de son fils. Raphaël Blanchard s’est marié le 16 mai 1887 à Paris avec Louise Chancel, née en 1857 à Briançon. Ils ont eu deux fils : Henri (1891-1937) et Camille (1893-1972). Veuf, il s’est remarié le 4 novembre 1918 à Thiais avec Gilberte Zaborowski d’Indura, artiste peintre. Il est mort à Paris le 7 février 1919 et fut inhumé à Saint-Christophe.↩
2 Pour s’en tenir au niveau régional, une brochure de l’association Histoire
et Patrimoine de St-Christophe-sur-le-Nais a été consacrée à ces deux médecins et un autre personnage
célèbre du village : Eugène Hilarion (1841-1910). Par ailleurs, le
Dictionnaire des scientifiques de Touraine, édité en 2017 par l’Académie de
Touraine, contient également des notices instructives sur Raymond et sur
Blanchard.↩
3 Blanchard a relaté la création et les débuts de l’IMC dans les Archives de
parasitologie, une revue scientifique qu'il a créée, et il a décrit par le
menu son itinéraire professionnel dans ses divers Rapports de Titres et
Travaux. Il n’a pas laissé dans l’ombre certains des conflits qui l’ont
opposé à ses pairs dans des communications à la Société de Biologie ou à
l’Académie de médecine.↩
4 Nous avons été aidé dans cette entreprise par un ouvrage récent consacré à
la médecine coloniale en France : OSBORNE Michaël A. Emergence of colonial
medicine in France. The University of Chicago press, 2014, 300 p. Un
chapitre entier de cet ouvrage est consacré à Raphaël Blanchard. En outre
l'ouvrage donne notamment accès à de nombreuses sources bibliographiques sur
l'ensemble de la médecine coloniale sous la Troisième République.↩