Table des matières
Importance économique des colonies
L’Empire colonial français en 1914
Au début du 19e
siècle l’empire colonial français a atteint son expansion maximale avec
les dernières conquêtes de la Troisième République : l’Annam et le
Tonkin, la Tunisie, Madagascar, les immenses territoires de l’Afrique de
l’Ouest ou A.O.F., et de l’Afrique équatoriale ou A.E.F. Alors qu’en 1871, l’empire colonial s’étendait sur moins d’1
million de km2
avec moins de 5 millions d’habitants, en 1914 il couvre 11 millions de
km2
et compte 50 millions d’habitants, soit dix fois plus. En termes
d’échanges commerciaux, on passe de moins de 600 millions de francs à
plus de 3 milliards, soit 5 fois plus.1
Importance comparée des colonies françaises
(en millions a hab. ; b francs) 1
Par comparaison, l’Empire colonial anglais s’étendait sur 33 millions de
km2 et comptait 400 millions d'habitants. Les statistiques de population et
d’échanges commerciaux de 1913 permettent d’apprécier l’importance
respective de chaque territoire colonisé (Tableau ci-dessus). Deux
territoires viennent en tête pour la population et les échanges : l’Algérie
et l’Indochine. Les vastes territoires de l’A.O.F. et de l’A.E.F. ont
comparativement moins d’importance économique.
Implications sanitaires
On imagine aisément les nouveaux besoins sanitaires qu’entraînaient
l’acquisition de ces nouveaux territoires. Non pas simplement en effectifs
de médecins et en dispositifs d’assistance publique pour les populations
(indigènes, colons, fonctionnaires), mais aussi en connaissances
scientifiques sur les maladies spécifiques des pays chauds.
Les plus graves de ces maladies tropicales ont été passées en revue dans le
chapitre précédent. Certaines ont fait des ravages en premier lieu dans les troupes
d’occupation, transplantées du jour au lendemain dans un milieu naturel
hostile. Ainsi, lors de l’invasion de Madagascar en 1895, le paludisme tua
25% des 21000 hommes du corps expéditionnaire, alors qu'il n'y eut que 25
morts par action de guerre !2
À la fin du 19e siècle, la médecine tropicale était de longue date le
domaine réservé des médecins de la marine militaire. Mais cette situation
était en train d’évoluer. La colonisation à marche forcée de la Troisième
République ajoutait aux besoins sanitaires de la marine (santé des
militaires, et des populations des villes portuaires), ceux liés à
l’exploitation et à l’administration des
territoires colonisés (colons et fonctionnaires), ainsi qu’à l’occupation militaire (troupes au sol).
Enfin, on se souciait de plus en plus de la santé des populations
colonisées, les indigènes.
À partir de 1890, les médecins de la marine obtenaient leur doctorat auprès
de la faculté de médecine de Bordeaux, tout en recevant un enseignement
spécialisé complémentaire dans le cadre de l’École principale de médecine
navale située dans la même ville (voir Encadré). Avant Bordeaux, les étudiants
de Navale faisaient une première année de préparation dans l’une des
écoles dites annexes de Brest, Rochefort ou Toulon. Les diplômés (environ 50
par promotion) se divisaient en médecins rattachés à la marine, sous régime
militaire, et médecins coloniaux, rattachés au corps de santé des
colonies et pays de protectorat. Seuls les premiers bénéficiaient d’une
formation appliquée complémentaire de 6 mois dispensée à l’école
d’application de Toulon.
Les médecins de l’armée de terre destinés aux colonies, formés à Lyon,
bénéficiaient également d’une formation spécialisée en médecine tropicale
acquises à l’hôpital du Val de Grâce à Paris, lieu de solide expertise en
maladies tropicales3
Les médecins coloniaux restaient en général dans les ports des colonies où
ils exerçaient les fonctions suivantes : responsabilité des hôpitaux
portuaires, arraisonnement et vérification des patentes sanitaires à
l’arrivée des navires, soins aux fonctionnaires civils. Certains d’entre eux
finissaient par quitter le service après un certain temps pour faire de la
médecine strictement civile (environ 30%).
Tous ces médecins, et notamment leurs instructeurs, entretenaient et
transmettaient les connaissances sur les maladies et l’hygiène sous les
tropiques. Cette expertise est reflétée dans un périodique créé en 1864 : les Archives de médecine navale et, depuis 1898, les Annales d’hygiène et de
médecine coloniales.4
Si les besoins en médecins civils allaient croissant, ils étaient toutefois
couverts par les médecins retirés du service colonial. L’assistance publique
aux indigènes était organisée dans les territoires grâce aux médecins et aux
autres professionnels de santé formés localement. Finalement, le nombre des
médecins civils des colonies restera longtemps restreint comme l’écrit
Georges Treille, médecin en chef du corps de santé de la marine5
L’école principale de Santé navale de Bordeaux.
Placée auprès de la Faculté de médecine, cette école assura la formation
spécialisée des médecins de la marine et des médecins coloniaux dès 1890.
Avant d’y entrer les candidats recevaient une formation préparatoire d’un
an dans les écoles de médecine dites « annexes » de Brest, Rochefort ou
Toulon.
1 RAMBAUD Jean et al. (1922)
Géographie. La France et ses colonies. Lib. Delagrave. Paris. 95
p.↩
2 HÉRAUT Louis-Armand (2006)
La médecine militaire coloniale française. Une aventure médicale de
trois quarts de siècle (1890-1968). Hist. Sci. Méd. 40 : 381-392. Les rapports sont peu
loquaces sur le nombre de morts chez les indigènes, et chez eux par
« action de guerre ↩
3 Alexandre Laveran, médecin colonial et futur prix
Nobel pour sa découverte en 1880 de l’agent du paludisme y exerça pendant
10 ans (1884-94), avant de rejoindre l’Institut Pasteur.↩
4 Union coloniale (1901)
Création à Paris d’un institut de médecine coloniale,
in Archives de parasitologie (1901) 4 : 414-474.↩
5 Cité par le Dr PRIMET (1906). De l’enseignement de la médecine en vue des colonies. : Exposition coloniale de Marseille, 1906. Compte rendu des travaux du
Congrès colonial de Marseille. Tome 3, p.386-410.↩